We arrived in Beirut last Thursday morning, November 12. On that day, two blasts hit the southern suburb of the city, leaving 43 people dead and 239 wounded. On Friday, November 13, a series of coordinated attacks at six different locations in the center of the city shook Paris. As of today, November 15, 129 people have been confirmed dead and 352 are wounded, nearly one hundred of them in critical condition.
We came to Beirut to participate in Home Works 7, A Forum on Cultural Practices, at Ashkal Alwan, The Lebanese Association for Plastic Arts (in existence since 1993), a constellation of exhibitions, public programs, and collateral events, bringing together a number of outstanding artists and thinkers coming from the Middle East as well as from the outside of the region.
Confronted with what seemed unspeakable at first—confronted with death—we have realized, while listening to talks and seeing practitioners from various fields perform at Ashkal Alwan, how important it is not to fall silent. We thought and felt it should be possible to make the many voices we heard in Home Works 7 also heard in documenta 14, one and a half years ahead of its scheduled openings in Athens and Kassel. On this website, we will publish statements, notes, fragments, and quotes solicited from those we meet—in Beirut, and soon in Algiers and elsewhere—since many members of our team find themselves at different places around the globe at this point in time, as the reality around us has been going through profound changes.
This letter is an invitation. Here, the first voice.
Children of Our Age
We are children of our age,
it’s a political age.
All day long, all through the night,
all affairs—yours, ours, theirs—
are political affairs.
Whether you like it or not,
your genes have a political past,
your skin, a political cast,
your eyes, a political slant.
Whatever you say reverberates,
whatever you don’t say speaks for itself.
So either way you’re talking politics.
Even when you take to the woods,
you’re taking political steps
on political grounds.
Apolitical poems are also political,
and above us shines a moon
no longer purely lunar.
To be or not to be, that is the question.
And though it troubles the digestion
it’s a question, as always, of politics.
To acquire a political meaning
you don’t even have to be human.
Raw material will do,
or protein feed, or crude oil,
or a conference table whose shape
was quarreled over for months;
Should we arbitrate life and death
at a round table or a square one?
Meanwhile, people perished,
animals died,
houses burned,
and the fields ran wild
just as in times immemorial
and less political.
Wisława Szymborska
(Used by kind permission of the Wisława Szymborska Foundation, Krakow.)
***
Beyrouth, 15.11.2015
Lettre de l’équipe de la documenta 14, suite aux attaques de Beyrouth (12.11.2015) et de Paris (13.11.2015)
Nous sommes arrivés à Beyrouth le 12 novembre au matin. Ce même jour, deux explosions ont frappé le faubourg Sud de la ville, faisant 43 morts et 239 blessés. Dans la nuit du vendredi 13, une série de six attaques coordonnées dans le centre de Paris, a fait 129 morts recensés et plus de 350 blessés, dont presque une centaine dans un état critique.
Nous étions venus à Beyrouth pour participer à «Home Works 7», un forum sur les pratiques culturelles organisé par Ashkal Alwan, l’Association libanaise pour les Arts plastiques (Lebanese Association for Plastic Arts), fondée en 1993 et regroupant un grand nombre de programmes publics, d’expositions et d’événements parallèles. Cette association rassemble un certain nombre d’artistes et de penseurs éminents venus du Moyen Orient, mais également d’autres régions.
Confrontés à ce qui paraît d’emblée indicible – la mort – nous avons réalisé, au fur et à mesure que nous écoutions les conférences et découvrions les pratiques des différents champs artistiques représentés à Ashkal Alwan, à quel point il était important de ne se murer dans le silence. Nous avons décidé qu’il fallait rendre possible l’écoute de ces nombreuses voix, dans le cadre de la documenta 14, deux ans avant son ouverture prévue à Athènes et à Cassel. Nous publions donc, sur ce site Web, des déclarations, des notes, des fragments et des citations obtenues de celles et ceux que nous rencontrons à Beyrouth, bientôt à Alger et ailleurs, puisque plusieurs membres de notre équipe se trouvent dans différentes parties du monde à l’heure où la réalité à l’échelle de la planète connait de profonds changements.
Cette lettre est une invitation. Voici la première de ces nombreuses voix.
Enfants de notre époque
Nous sommes enfants de notre époque,
et c’est une époque politique.
Toute la journée, tout au long de la nuit,
toutes les affaires – les vôtres, les nôtres, les leurs –
sont des affaires politiques.
Que cela vous plaise ou non,
vos gènes ont un passé politique,
votre peau, un marqueur politique,
vos yeux, une connotation politique.
Tout ce qu’on dit se répercute,
tout ce qu’on ne dit pas parle par soi-même.
D’une façon ou d’une autre, on parle de politique.
Même quand on part dans les bois,
on prend des mesures politiques
pour des raisons politiques.
Les poèmes apolitiques sont aussi politiques,
et au-dessus de nos têtes brille une lune
qui n’est plus véritablement lunaire.
Être ou ne pas être, tel est le problème.
Et même si cela trouble la digestion,
c’est un problème – comme toujours – de politique.
Pour acquérir une signification politique,
on n’a même pas besoin d’être humain.
Le matériau brut fera l’affaire,
ou la protéine biologique, ou le pétrole brut,
ou une table de conférence dont la forme
a été débattue pendant des mois :
devrions-nous trancher de la vie et de la mort
autour d’une table ronde ou à d’une table carrée ?
Pendant ce temps, des gens ont péri,
des animaux sont morts,
des maisons ont brûlé,
et les champs sont devenus des friches,
tout comme dans des temps immémoriaux
et moins politiques…
Wisława Szymborska
(Traduit par Denis-Armand Canal)